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Œdipe

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De Sénèque . Mise en scène Jean-Claude Fall

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Entretien Jean-Claude Fall et Yaël Bacry

Yaël Bacry

Après Hercule furieux et Hercule sur l’Œta, c’est  la troisième fois que tu montes une pièce de Sénèque. Pourquoi Œdipe ? Pourquoi précisément cette version-là ?

Jean-Claude Fall

Ma rencontre avec Sénèque s’est faite avant tout lorsque j’ai découvert le magnifique travail de traduction de Florence Dupont. C’est elle qui en a révélé l’incroyable modernité. Cette pièce est la dernière de Sénèque et curieusement elle est la seule à n’avoir jamais été jouée en France. Peut-être parce que quelque part, Oedipe fait peur. On pense bien le connaître et en fait ce n’est pas le cas. La psychanalyse s’est tellement emparée de ce sujet qu’il est devenu presque tabou alors que c’est un des grands mythes fondateurs de toutes les cultures du monde.

L’Œdipe qu’on connaît est celui de Sophocle. Il est à l’origine de la fondation du mythe, du moins du mythe tragique. On peut donc dire qu’il a quasiment  « le nez dessus  » ; alors que Sénèque, porteur d’une philosophie stoïcienne relit le mythe quelques siècles plus tard. Et Œdipe revisité par cette pensée acquiert une force et une modernité qu’il n’a jamais eue. On trouve chez lui ce qu’on pourrait appeler une pré-science de la psychanalyse, et aussi une pensée sur le politique, une critique féroce du pouvoir. Pour toutes ces raisons, j’avais envie de faire entendre cette parole-là, cet Œdipe-là, et pas un autre.

YB

On pourrait parler de la manière dont Sénèque s’est approprié le mythe.

JCF

Sénèque aborde le mythe d’une manière radicalement opposée à Sophocle. Les grandes lignes de la fable sont conservées, mais il en retourne le sens en apportant quelques modifications. La première concerne le début de la pièce.
Thèbes est envahie par la peste.
Chez Sophocle, Oedipe est un roi fort qui règne sur la ville et se pose, pour la deuxième fois, comme le sauveur de Thèbes.
Par contre, dans la version de Sénèque, le roi Oedipe est un être humain, terré au fond de son palais. Il n’ose pas en sortir, il est paralysé par la peur. Il sent qu’une chose terrible va lui tomber dessus mais il ne sait pas quoi. En tout cas, il a un pressentiment, ce qui est complètement nouveau par rapport au mythe d’origine.

Mais ce qui va éclairer complètement le discours sur le destin, c’est la manière dont  Sénèque bouleverse totalement la fin de l’histoire. Dans la pièce de Sophocle, Œdipe se crève les yeux avec la boucle de la robe de Jocaste qui s’est pendue. Chez Sénèque, il se crèvera les yeux, sans autre instrument que ses propres mains, puis il tuera Jocaste, ou plutôt il la suicide. C’est une différence de taille : Œdipe a dépassé la sentence des Dieux : il était condamné à tuer son père et à retourner dans le ventre de sa mère, or il a fait plus, et ayant fait plus, non seulement  il devient un héros tragique, mais il nie la destinée qui lui a été fixée par les Dieux.

YB

Il y a une volonté chez Œdipe d’être jusqu’au bout le sujet de ses actes. C’est une manière de transformer le destin en histoire.

JCF

Tout à fait. C’est la différence majeure avec Sophocle.
Nous sommes les fruits de l’histoire, et non pas les fruits du destin. Le Chœur raconte cela tout le temps : « Vous priez ? Pour quoi faire ? Vous êtes tous là / Dévorés d’angoisse en criant / le Destin ! le Destin ! / Et vous vous retrouvez face à lui / Vous faites vous-même votre malheur ». Et ça, c’est d’une modernité absolument incroyable !  C’est très étonnant.
Je ne pense pas que ce soit spécifique au monde latin. C’est la spécificité de Sénèque. Sénèque dit : il n’y a pas les Dieux.  Alors que dans Sophocle, il y a toujours cette issue pour Œdipe et  pour Jocaste, qui se revendiquent innocents, puisqu’ils ne savaient pas. Chez Sénèque ; les dieux n’ont pas de prise sur l’Histoire, sur cette histoire-là.

YB

A la fin de la pièce, Œdipe, en tuant Jocaste, a d’une certaine manière « doublé » les dieux sur leur propre terrain : il les a réellement dépassés. Du coup, il semble qu’ils ne soient plus vraiment d’actualité.

JCF

Ce n’est pas si clair que cela. On est dans une ambiguïté puisque les Dieux sont encore présents dans l’esprit de chacun, à cette époque-là aussi. La notion de Dieu devient de plus en plus floue.  La seule religion monothéiste existante, le Judaïsme, est en crise, avec cette idée d’un Dieu absent. La religion du père est en train de péricliter et de donner naissance à la religion des fils. On est dans des périodes très étranges autour du « lâchage » des Dieux.  On aborde le Christianisme. C’est peut-être pour cela que Sénèque peut faire dire à Jason à la fin de Médée : « Voyage partout dans l’éther et va témoigner au monde que les Dieux n’existent pas. » Le ciel est vide. C’est très étonnant que cela puisse se formuler aussi clairement.

YB

Le Chœur est là pour rappeler sans cesse que chacun est inscrit dans une histoire. Cela désigne ce qui justement est au cœur de la pièce : la question des origines. Ce qui se raconte là, c’est qu’on n’est jamais « à l’origine de », mais toujours issu de quelque chose. Le problème de la culpabilité alors se pose autrement.

JCF

Ce qui est évident ici, c’est qu’il y a de l’histoire qui s’écrit. Nous sommes précédés par des siècles d'histoire, et en même temps, nous sommes chacun un tout petit bout d’histoire. C'est une modernité complètement étonnante qu'on ne retrouve pas souvent dans la littérature classique en général que ce soit chez les Grecs ou les Latins.
La question serait : en quoi Œdipe est effectivement le fruit de quelque chose.
Le Chœur  répond : « Non ce n’est pas toi / Non tu n’es pas la cause / Non tu n’es pas l’origine / Les périls qui s’amassent / Non ce n’est pas toi / Il faut remonter plus haut / Il faut remonter plus loin ».
Œdipe est responsable mais pas coupable.
Et  le Chœur remonte le cours du temps et il parle d'une faute qui serait la faute originelle, celle qui a produit la guerre fratricide et dont il faut se souvenir : l'histoire de Cadmos et de l'origine de Thèbes. Comment Cadmos, après avoir tué le dragon, a semé ses dents, et comment de ses dents sont nés des enfants tout armés, et comment ces frères se sont  tous entre-tués en une journée de bataille effroyable, et comment ils sont rentrés dans le ventre de leur mère, c'est à dire la terre, et il dit que Thèbes ne doit jamais oublier le combat des frères.

YB

A l’origine, il y a toujours une histoire d’horreur. Sénèque écrit d’ailleurs cette scène terrifiante dans laquelle  Laïos mort ressurgit des entrailles du monde, tel un monstre. C’est une pure invention.

JCF

Sénèque aime bien ça, il aime bien faire surgir de grands fantômes monstrueux qui viennent faire peur au public ou au héros. Il y en a dans toutes ses pièces. Thyeste, Médée, Agamemnon… Ils sont terrifiants, parce qu'ils ont commis un acte surhumain qui les a rendus presque égaux à des Dieux.
On peut s’interroger sur la fonction de la peur chez Sénèque, laquelle a une fonction cathartique évidente.
La présence de Néron plane sur ses pièces. Montrer l’horreur, montrer le monstre, c’est une manière de dire qu’il faut rester dans la conscience éclairée des choses, et non pas se laisser aveugler par ces grandes figures qui sont la gloire, le pouvoir, les fausses valeurs, les passions.. C’est une manière de montrer qu’il ne faut pas aller dans tous ces excès.  Sauf que Sénèque  rend l'excès tellement fascinant qu’il arrive à produire un monstre tout à fait réel, lui, et c’est justement Néron, dont il est le tuteur.
Moi je ne perds jamais ça de vue. Je pense que ce n'est pas complètement le fruit du hasard que son seul grand élève ait été Néron, à son grand dam.. Ce qui lui a d’ailleurs coûté la vie, puisqu’il en est mort d'avoir produit ce monstre là.

YB

Comme tous les monstres de Sénèque, Œdipe est un « Furieux »...

JCF

Oui, il est la figure anti-stoïcienne par excellence. La passion va l’aveugler dès le début de l’histoire.
Il vient de se faire rejeter par l'oracle de Delphes qui, au lieu de lui répondre, l'insulte, le condamne, il lui dit : « je ne veux même pas te parler, tu es un monstre, tu vas tuer ton père, tu vas faire l'amour avec ta mère, tu n'as rien à faire parmi les hommes, va-t-en ». Et là dessus, c’est là qu’on rejoint la problématique stoïcienne, qu’est-ce qu’il fait ? Il croit en l’oracle. Ce qui en soi est assez idiot : quel sens y a t il à regarder les entrailles d’une vache pour déchiffrer le monde ? Mais bon… Il croit en ce que lui dit l’oracle. Et au lieu de rentrer chez lui questionner ses supposés parents, au lieu d’aller à l’endroit où justement il serait le plus en sécurité, il fuit et prend la direction opposée de sa maison. Il se laisse complètement aveuglé par une fureur, qui lui naît de sa condamnation.
On le voit bien d’ailleurs dans le film de Pasolini : lorsqu’Œdipe sort de chez l’oracle, il ne voit plus rien : il pleure. Et dans le film il y a des changements de temps, de couleurs  très étranges, on passe de la nuit au jour, parce qu’il ne sait plus, il n’est plus capable de voir les choses. Il prend la direction opposée de Corinthe et c’est là où l’on rejoint l’histoire de Samarcande : Œdipe fuit et se met justement dans cette situation d’errance où il peut rencontrer son père… et effectivement rencontre sur la route un vieillard qui lui refuse le passage, et sous l’emprise de la fureur, Œdipe massacre tout le monde, il massacre le vieillard et toute sa suite comme une espèce de frénétique… C'est un vrai Furieux.
Et ce n’est pas étonnant que Sénèque se soit emparé de ce personnage parce qu'il aime bien les furieux. La faute d’Oedipe, c'est qu'il a cru à ce que lui a dit l’oracle. Œdipe doute toujours après avoir consulté l’oracle, et ce doute, il l’aurait du l’entendre.

YB

Œdipe aurait pu l’entendre, mais au lieu de cela, il l’a entendu comme tu disais : comme une parole du destin. Alors que c’était une énigme de plus à déchiffrer. Comme celle du Sphinx.

JCF

Oui, c’est vrai, on rejoint le début de l’histoire, Œdipe a peur d’affronter la réalité.

YB

C’est le contraire du stoïcisme qui dit que l’homme doit savoir accepter le réel quand il y est confronté.

JCF

Le Stoïcisme a parfois mauvaise presse parce qu'on en a fait une espèce de religion du renoncement, de la vie monacale, de l'abstinence sexuelle et autres fariboles, ce qui n'est absolument le cas.
Qu'il y ait eu des dérives du Stoïcisme qui ont amené jusqu'à ces excès-là, c'est sûr, mais le Stoïcisme n’est pas du tout une philosophie du renoncement. On a souvent dit qu'il y a, chez Sénèque, une contradiction, parce que c’est un homme d’argent, de pouvoir ; mais il n'y a pas de contradiction. Si tu es riche, les Stoïciens ne te disent pas : tu dois donner tout ton argent aux pauvres et  te mettre dans un tonneau comme Diogène.  Ils disent qu'il ne faut pas être dépendant de l'argent, de la luxure, du plaisir, de la bouffe, du pouvoir : des fausses valeurs. Les vraies valeurs étant la responsabilité, la citoyenneté, la science, le savoir. Dans les lettres à Lucillus, Sénèque est très clair là-dessus ; il ne dit pas : « renonce à tout », il dit : « ne te mets pas dans un rapport de dépendance aux choses, sois un homme libre ».
Et cette liberté ne s'acquiert qu’à une seule condition : l'acceptation de la mort. La véritable sagesse c’est ça. Le seul destin dont nous soyons sûrs, c’est notre mort. Et c’est parce que l’homme n’accepte pas le fait qu'il est condamné à mourir qu’il devient un héros tragique ou un homme de pouvoir, d'argent ou de luxure. Personne ne peut plus avoir de pouvoir sur vous si vous acceptez la mort.

YB

Y a-t-il une actualité du stoïcisme ?

JCF

Le stoïcisme fait sa réapparition dans toutes les grandes périodes de crises et de guerres. La guerre c'est droit contre droit, raison contre raison, c'est à dire que c'est l'aveuglement de son propre droit par son propre droit, qui fait que tu ne peux pas entendre la raison de l'autre, et c'est cette réaction des passions qui fait la guerre. Le Stoïcisme énonce une relation dépassionnée au monde, une relation de pleine conscience et de savoir.

Œdipe
De Sénèque
Mise en scène Jean-Claude Fall

Avec

Jean-Claude Fall (Le chœur), Malik Faraoun (Créon), Mario Haniotis (Le vieillard), Antoine Mathieu (Œdipe), Gabriel Monnet (Tirésias), Laurence Roy (Jocaste), Sophie Semin (Mantô)

Création

Production Théâtre des Treize Vents / Centre Dramatique National de Montpellier Languedoc-Roussillon

Création 1998