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Péchés mortels

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De Felix Mitterer . Mise en scène Jean-Claude Fall

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Orgueil, Paresse, Colère, Envie, Gourmandise,
cinq des sept « péchés mortels »

Cinq des sept courtes pièces de Felix Mitterer. Elles mettent en scène quatre personnages récurrents : l’homme (Hans), deux femmes (Doris et l’animatrice-télé Ulrike) et l’enfant.
Dans chacune d’elles, Felix Mitterer traite, outre de l’un des sept péchés capitaux (avec un rapport parfois assez alambiqué), d’un de nos si nombreux « problèmes de société ».

Dans Orgueil, il s’agit du clonage humain.
Dans Paresse, de la solitude et de la misère sexuelle.
Dans Colère, du fanatisme (là où se rejoignent racisme anti-arabe et intégrisme islamiste).
Dans Envie, des angoisses du licenciement, du chômage, de la promotion (« chacun pour soi » et « struggle for Life » sont les deux moteurs de la réussite à tout prix).
Dans Gourmandise, de l’anorexie (comme désir de « n’être pas »).

Avec humour, Felix Mitterer décrit nos turpitudes, notre formidable aptitude au péché.
Tous les « héros » de ces péchés mortels, monstrueux à souhait, nous les connaissons, nous les reconnaissons en nous-mêmes ou si près de nous.
Ils espèrent une rédemption par un miracle. Miracle de l’arrivée d’extra-terrestres qui viendraient les emporter vers un monde meilleur. Miracle de la télévision à travers la revendication, l’exhibition, la confession publiques : un petit quart d’heure de gloire cathodique en guise de psychothérapie.
Il s’agit là d’une critique au vitriol, à la fois pathétique et hilarante des folies de notre temps (accélérées en ce début du siècle).
Provocateur, polémique, burlesque, dingue, méchant, féroce même, mais toujours drôle, touchant et accessible, le théâtre de Felix Mitterer met en scène nos maux.
Il est de ces auteurs qui mettent à nu, dénoncent, dévoilent sans se poser en moralisateur, sans didactisme aucun mais avec une bonne dose d’humour dévastateur.

Jean-Claude Fall

Orgueil

L'Enfant Hans, lors de son dixième anniversaire, revendique le droit d’être lui-même. Car il est le clone de l’Homme qui le pousse par tous les moyens, dopage y compris, à devenir ce qu'il n'a pu être lui : champion de tennis. Son père l'entraîne, le filme, l'exhibe dans des émissions de télé et de radio, le pousse sans arrêt. L’Enfant déclare forfait. La Femme, sa mère (porteuse) qui allait rendre son tablier, triomphe, manque de se faire massacrer, va partir avec l'Enfant qui ne réussit cependant pas à se détacher de son père.

Enfant. Je t'ai déçu, je t'ai tellement déçu.

Homme. Ce n'est pas de ta faute. C'est le manque d'harmonie, la pression, le stress. J'ai mis au point un nouveau programme d'entraînement. Par paliers. Tranquille, concentré. Demain, on démarre. Tu as au maximum un an de retard. Nous allons rattraper ça, je te le promets.

Femme. Ce n'est pas un an de retard que tu as, enfant, tu ne le rattraperas pas. Tu te tortures pour rien, ouvre les yeux à la fin. Six ans que je te regarde. Tu trimes comme une bête. Le rythme, tu ne l'as toujours pas trouvé, sur le cours, tu galopes comme un cabri affolé, ton revers est une catastrophe, ton service ridicule. Ton bras, ton dos, tes genoux sont en compote. Laisse tomber. Tu n'es pas doué pour ça, un point c'est tout.

Homme. Je te tue.

Femme. Il n'est pas doué pour ça. Regarde la réalité en face.

Homme. Moi, j'étais doué. Il est donc doué lui aussi. Il est moi.

Femme. Bien sûr qu'il est toi. Cela dit, est-ce que tu t'es jamais posé la question de savoir si tu étais vraiment doué ?

Homme. Tout le monde me considérait comme un petit génie. J'étais programmé pour vaincre.

Femme. Et puis tu as eu cet accident.

Homme. Et puis j'ai eu cet accident.

Femme. Peut-être cet accident est-il venu à point nommé ?

Homme. Que veux-tu dire ?

Femme. Tous les regards étaient déjà braqués sur toi, mon cher. Tu avais peur, peut-être, de ne pas y arriver ? D'où peut-être l'accident.

Homme. Ah, tu me sors ta psychologie. Epargne-moi, tu veux ? Vache hystérique.

Femme. Et voilà que lui aussi porte le bras en écharpe. Bizarre, non ?

Homme. C'est bénin. Une inflammation bénigne. Un mauvais levier. Frappe l'adversaire, pas la balle.

Femme. Au fond, tu n'étais pas doué pour ça, et lui non plus. Ce qui ne t'empêche pas de le martyriser jusqu'au sang. Pour rien. Tout ça pour rien.

Enfant. Elle a raison, papa. Je ne suis pas capable. Laisse-moi faire autre chose, s'il te plaît. S'il te plaît, papa.

Paresse

Sur un plateau de télévision. L'Homme sous les projecteurs, armé d'un fusil, raconte sa vie désespérante : Hans, père d'une fille anorexique, dans la solitude et l'amertume d'une existence inutile. L'animatrice du talk-show pose à Hans et au public la question essentielle : veut-il, doit-il vraiment se tuer ? Faibles applaudissements. Elle va donc l'aider, en convoquant Doris, sa femme ! Il l'abat. Doris se relève : « Dieu t'aime, Hans ! ». Ses défenses s'effondrent, elle l'entraîne vers la montagne où ils attendront ensemble le retour de « ceux du dehors », des extra-terrestres.

J'ai passé vingt ans de ma vie avec une femme hystérique. C'est normal ça ? C'est pour ça qu'on vient au monde ? Toutes elles vous asticotent. Et asticotent encore. Les ouvrières vous cognent, les employées et les cadres vous asticotent. Il faut que je vous explique ça mieux parce qu'évidemment, c'est toujours passé sous silence. Sujet tabou. Pas correct, politiquement. Misogyne. Alors voilà, concrètement : les femmes des ouvriers battent leurs maris. Parfaitement. Parfaitement. Eh oui, riez mesdames, riez. Je les ai rencontrés, ces maris, quand je travaillais encore à l'extérieur. Ils tremblaient, tremblaient au bistro, sachant ce qui les attendait quand ils rentreraient. D'abord je ne pouvais pas le croire. Je ne pouvais pas le croire, moi, vieil adepte de l'émancipation, féministe qui se revendique publiquement comme tel. Puis j'ai rencontré un maire. Le maire d'un petit bourg. On se met à discuter de choses et d'autres, il commence à déblatérer sur les femmes pour une raison x, je prends naturellement leur défense, comme toujours, et voilà qu'il me dit ceci : tous les mercredis, lorsqu'il reçoit les habitants de la commune pour écouter leurs doléances, ces maris se retrouvent chez lui et pleurent. Ils pleurent. Ils racontent à leur maire, au chef de leur commune, que leurs femmes les battent. Et ils pleurent, pleurent comme des mômes. Voilà les faits. Ce n'est pas l'inverse, comme le prétend l'opinion. Oui, oui je sais ça ne vous arrange pas, mesdames. Pourquoi il n'y a pas de foyer pour hommes, pourquoi n'y a-t-il pas de foyer pour hommes battus ? Je vais vous le dire, moi. Parce que les hommes ont honte. Parce qu'ils ont honte d'avouer qu'on les cogne. On les cogne tous, tous. Bon, poursuivons : les employées et les cadres asticotent. Elles ne cognent pas, elles asticotent. Et c'est pire. J'ai connu ça à mon corps défendant. Ma femme aussi m'a toujours asticoté. Toujours. Le plus infâme, c'est que je serais incapable de vous citer un exemple.

Colère

Femme 2, enceinte, immigrée cloîtrée chez elle, ouvre au « messager du bonheur », représentant de « Fairyland Digitalis » : elle a gagné un prix ! Elle se laisse séduire (jusqu’à un certain point) par le purificateur de la race blanche qui veut la tuer malgré la beauté quasi féerique qu'il lui reconnaît à elle et à sa culture. L'Enfant, rédempteur de son ancien peuple noble et pur, exterminateur des « aliens » dont l’Homme à ses yeux fait partie, entre et le tue.

Femme. Moi, mieux oublier. Nous pas retour. Mari toujours dire : quand argent assez pour belle maison, nous retourner. Mais pas retour. Enfants nés ici, parler rien sauf allemand. Personne vouloir retourner. Moi, retour cercueil.

Homme. Moi aussi j'ai le mal du pays, mais je ne sais pas duquel.

Femme. Toi aussi venir loin ?

Homme. Je viens des entrailles de la terre. À la recherche de mon pays. Mais je ne le trouve pas. Je ne le trouve plus. Mon pays, il faut d'abord le restaurer.
La Femme ne le comprend pas, se trouble.

Homme. L'espoir repose sur les enfants. Des enfants nouveaux, rapides, tenaces, durs. Vous avez beaucoup d'enfants ?

Femme. Non. Quatre enfants. (Se touchant le ventre, avec un sourire.) Bientôt cinq.

Homme. De bons enfants ?

Femme. Trois bons, un méchant.

Homme. Ah ? Qu'est-ce qu'il fait, l'enfant méchant ?

La Femme refuse de répondre.

Homme. Cambrioleur ? Voleur ? Voyou ?

La Femme refuse de répondre.

Homme. La place des enfants est dans des camps. Les abandonner aux parents est irresponsable.

Femme. Trois bons enfants, comme enfants allemands.

Homme. Vous avez de beaux cheveux. Noirs comme l'ébène.

La Femme remonte le foulard pour se protéger.

Homme (après un temps). Vous me montrez vos cheveux ? S'il vous plaît.

Femme (prude mais flattée). Pas le droit. Mari voir.

L’Homme va lui toucher doucement les cheveux, elle recule la tête, il avance de nouveau lentement la main, dégage une mèche, la laisse glisser entre ses doigts.

Homme. C'est merveilleux, au toucher. De si beaux cheveux.

Envie

Dans un bureau, Homme et Femme 2, amants, se livrent une lutte sournoise et sans merci. Programmes d’ordinateur piégés, dénonciations et vacheries de toutes sortes doivent détruire l’autre aux yeux de Femme 1, leur P.D.G., et leur obtenir la direction du département. Les ruses de l’Homme conduisent au renvoi de Femme 2 qui s'emploie néanmoins à faire virer l'Homme lui aussi. Elle lui fait croire que la P.D.G. s’est entichée de lui. Croyant que le refus de celle-ci fait partie d’un jeu sado-maso, il insiste et se fait renvoyer. Il saisit son fusil et part à sa recherche. La police arrive, une fusillade, genre film d'action américain, éclate. Femme 2 triomphe en silence.

P.D.G.. Où est le projet ?

Femme. C’était fini, je vous assure. Malheureusement, j’ai eu un pépin avec l'ordinateur.

La P.D.G. la regarde fixement.

Femme. À la fin de la semaine. C'est promis.

P.D.G.. À la fin de la semaine vous pourrez partir. Vous êtes virée.

Femme. Je suis virée, moi ?

P.D.G.. Absolument. Vous êtes virée. Sans préavis.

Femme. J'ai ma part dans le développement de cette boîte ! Ne l'oubliez pas, je vous prie, d'accord ? Il y a un mois, vous me promettiez la direction du département, et à présent je suis virée ?

P.D.G.. Pendant ce mois, vous avez accumulé les bourdes que c'en est incroyable. Ça suffit, un point c'est tout.

Femme (larmoyante). C'est une série de tuiles, une série de tuiles. Tout foire, je ne sais pas pourquoi, moi non plus.

P.D.G.. Vous êtes congédiée, point à la ligne. Hans, c'est vous qui dirigerez le département.

La P.D.G. sort ; la Femme s'assoit, anéantie, pose les gobelets.

Homme. Je suis navré pour toi.

Il la rejoint, pose une main consolatrice sur son épaule ; elle la saisit, verse des larmes dans le creux de sa main ; il fait des grimaces moqueuses.

Femme (pleurant). Et moi qui ai déjà acheté la voiture qui va avec ! Et un tailleur Prince de Galles. Comme la patronne. Cool Wool !

Homme (prend sa tasse de thé de l'autre main ; buvant). Je suis terriblement chagriné, tu sais. Vraiment.

Gourmandise

Visibles simultanément sur un écran de télévision, Homme et Femme 1 attendent que leur fille les rejoigne, puis commencent seuls le repas. Il reproche à sa femme de l'avoir forcée à suivre des régimes avec elle, et d’être la cause de son anorexie.
Enfant arrive, refuse de manger, tente de s'expliquer, évoque son modèle, la « Fairy Queen » au ventre creux et dur comme l’acier. L’Homme veut la forcer à se nourrir, d’autant plus que c'est elle qui fait la cuisine. La mère se défend comme elle peut, accuse l'Homme, incrimine sa vie ratée : c'est sa normalité à lui qui est folie... L’Homme en rend les médecins responsables, puis bat sa coulpe. Scène de ménage, tentative de réconciliation. Effroi de l'Enfant, désespoir.
L'Enfant a disparu, la police la recherche. Femme 1 la croit morte, elle lit la lettre qu’elle a laissée : l’Enfant y annonce son retour. Un vaisseau spatial approche. L’Enfant, superbe « Fairy Queen », en descend, fait signe à ses parents de la rejoindre, remonte. L'animatrice de télévision fait applaudir Hans et Doris pendant qu'ils s'élèvent dans les airs... « La vraie vie ! Chez « Fairyland Digitalis »  uniquement ! »...

Enfant. Papa, aime-moi, s'il te plaît, aime-moi.

Homme. J'ai peur de toi, tu le sais, ça ? C'est normal qu'un père ait peur de sa fille ?

Enfant. Aime-moi, papa.

Homme. Je t'aime. Mais tu nous tues.

Enfant. Maman m'a dit que quand j'étais bébé tu m'aimais.

Homme. Je t'aime. Mais tu nous tues tous. Comment est-ce possible, s'il te plaît? Nous sommes une famille normale, après tout. Une famille modèle. L'harmonie a toujours été mon but suprême. Et celui de maman aussi. On ne peut vraiment rien lui reprocher, sur ce plan.

Femme. Oh ! mon Dieu. (Elle sort en courant.)

Homme. Qu'est-ce qui se passe, là ?

Enfant(s'essuyant ses larmes). Elle va voir si le chat est dans le congélateur.

Homme. Quoi ? Le chat est dans le congélateur ?

Enfant. Non, ce n'est pas le chat, ce sont les côtelettes d'agneau. Non, ce n'est pas le chat, ce sont les fraises. Non, ce n'est pas le chat, c'est le potage. Chaque jour c'est comme ça. Vingt fois par jour.

Homme (la fixe du regard ; après un temps). Nous ne sommes pas une famille normale. J'ai une femme cinglée, j'ai une fille cinglée. Eh bien, merci, trop gentil.

Enfant. Je n'y peux rien, papa, je n'y peux rien.

Homme. Tu veux mourir de faim ?

Enfant. Non, je veux être mince. C'est comme ça que je me plais, je me plais. J'aime mes genoux osseux, les os de mon bassin en éventail comme des pelles, le magnifique creux de mon ventre.

La Femme revient, s'assoit.

Enfant. (poursuivant). Le creux de mon ventre est si beau quand tout est sorti, un si beau creux du ventre. Je veux seulement être belle, papa.

Felix Mitterer

… il n’existe pas d’être mauvais, seulement des êtres malheureux.

Felix Mitterer, préface à Kein schöner Land (Le plus beau pays)

Début 97, le directeur du Théâtre d’Innsbruck me proposa de travailler sur les 7 péchés capitaux. Cela me parut passionnant, car (…) il n’est pas trop difficile de sortir du contexte religieux. En fait, le péché n’est rien d’autre que le comportement non-solidaire à l’égard de ses concitoyens et de la société. Notons aussi que nos péchés se retournent contre nous-mêmes. L’orgueil, la colère, l’avarice, tout finalement se retourne contre soi-même. Le châtiment a lieu ici et maintenant.

Felix Mitterer, pour Österreichischer Bühnenverlag Kaiser & Co, Vienne

Entretien avec Felix Mitterer

Jean-Claude Fall

À votre avis, quelle serait la fonction d'un auteur ?

Felix Mitterer

En fait, on écrit toujours pour soi-même. La plupart du temps, les personnages de mes pièces sont des marginaux, des êtres qui ont la vie difficile. S'il existe bien un élan de critique sociale, je ne pars jamais volontairement, consciemment dans ce sens, j'y suis toujours poussé. Quant à savoir si la littérature peut provoquer des changements, je crois que oui, un tout petit peu seulement, certes, mais elle peut servir de déclencheur pour que des personnes réfléchissent à tel ou tel problème. L'écrivain participe à l'histoire et bien souvent traverse son temps en éclaireur, il est plus radical et attire l'attention plus tôt sur les problèmes. Et c'est bien ainsi. [...]

JCF

Dans vos œuvres, vous attaquez souvent l'Église catholique.

FM

J'ai une position très critique à l'égard de l'Église catholique. Je critique l'institution, elle a fait énormément de mal. Mais je n'ai pas de haine ou d'anticléricalisme. Savoir si je suis un être croyant, je ne peux pas, moi, en juger. Bien que j'aie quitté l'Église il y a de nombreuses années, il se pourrait que je sois plus croyant que maint catholique figurant sur les registres.
Je n'ai jamais été auteur à faire consciemment de la provocation. J'ai écrit ce que je devais écrire, et si on l'a considéré comme une provocation, eh bien ça n'a pas fait de mal. Ce qui m'a toujours importé davantage, c'est d'arriver à approcher les gens, à les toucher.
Je n'ai pas de stratégie provocatrice. Si j'écris, c'est parce qu'un sujet m'émeut. Je ne pense pas alors au lecteur, je ne tiens pas compte par avance de son éventuelle indignation. J'écris et j'attends ce qui va se passer. Je ne ressens pas non plus de malin plaisir à provoquer. Je suis quelqu'un d'extrêmement pacifique avec un besoin d'harmonie presque excessif:
Nombre d'intellectuels, de critiques, sont manifestement d'avis qu'on n'a pas le droit d'émouvoir les gens, que tout doit exclusivement passer par le cerveau. Seulement, à quoi bon alors avoir des sentiments, pourquoi en faire abstraction ? Je veux montrer des êtres humains dans mes pièces : comment ils se comportent, le mal qu'ils font à eux-mêmes et aux autres – et si ce n'est pas un être humain qui, là-haut, sur scène, touche et émeut les spectateurs, alors pour moi le théâtre, la littérature, n'ont pas de sens. C'est peut-être pour cela que je suis devenu une espèce d'auteur populaire, même si je ne sous-titrerais jamais un texte « théâtre populaire », le terme étant trop galvaudé et ambigu. Il ne m'intéresse pas : j'écris ce que j'écris. Et il s'est avéré que j'écris pour un nombre relativement important de gens, c'est parce les gens ressentent quelque chose : ils ont mal ou ils rient, ils se sentent provoqués ou je ne sais quoi, mais ils éprouvent des choses.

JCF

Vos Péchés mortels relèvent d'une utopie noire. Vous êtes résigné ?

FM

Je veux éviter à tout prix l'index moralisateur qui désigne toujours tout le monde sauf soi-même, l'auteur disant aux autres comment ils doivent se conduire. J'ai ces péchés en moi, comme tout le monde, il s'agit d'une recherche qui commence par moi-même. Il fallait donc que je parte de notre époque et que je m'examine pour voir ce par quoi il était possible d'intéresser le public une nouvelle fois en parlant du péché. Car le péché en soi n'a strictement aucun intérêt. [...] Le péché en tant qu'acte contre soi-même ou son semblable, ça n'existe plus qu'au sein de l'Église, qui s'efforce elle aussi d'être moderne et de ne plus utiliser ce type de terminologie archaïque. [...]
Des monstruosités, il yen a eu et il y en a toujours, c'est l'homme qui est cynique, pas moi qui décris ces choses. Lorsque l'homme dans la pièce dit : « J'ai vendu l'enfant au marché », cela signifie qu'il a proposé l'enfant sur Internet, et cela s'est produit, véritablement.
La désolidarisation, l'individualisation, l'isolement total et la solitude, voilà ce qui se fait jour, avec en contrepoint, la confession publique à la télévision assortie d'un incroyable exhibitionnisme. J'ai effectivement cru quelque temps en un effet de guérison grâce à la multiplication de tous ces marginaux autorisés à se montrer, depuis que la télévision privée existe, à montrer comment ils sont et les problèmes qu'ils ont, ce qu'ils aiment et ce qu'ils font. Je ne crois plus depuis longtemps que ces émissions produisent un quelconque effet social positif. Je crois qu'on les jette en pâture au public. Je m'en fiche à présent, mais quand même. [...]
La condition essentielle pour la mise en scène de cette pièce est que, malgré toutes les bizarreries, l'être humain reste visible. C'est fondamental. Si on ne voit plus que les personnages sont des êtres qui souffrent d'eux-mêmes et de leur environnement, ça risque devenir un spectacle lisse, léché, pute, et rien de plus. Ce qui m'importe beaucoup, c'est qu'on se rende compte que ce sont des êtres qui souffrent comme des chiens de leur propre existence et de leur incapacité à communiquer entre eux, que même derrière la pire des perversions se cache un incroyable désir, un désir de rédemption, de libération, d'affection.

Extraits choisis, assemblés et traduits par Henri Christophe

Note du traducteur

La pièce m'a saisi dès la première lecture. Elle me paraît d'une formidable modernité, au sens où la vie contemporaine et ce vers quoi elle évolue y pulsent avec une grande intensité. L'acuité analytique du regard que l'auteur pose sur nos sociétés se double d'une sensibilité à fleur de peau, qui empêche toute dérive démonstrative. L'efficacité de la dramaturgie de l'ensemble et des dialogues est proprement sidérante : elle nous oblige, dans un tourbillon de situations et de questions philosophiques et culturelles, sociales, politiques et économiques, à reconnaître qui nous sommes ici et maintenant et ce que, peut-être, nous serons demain. La brutalité du monde dans lequel agissent ces personnages nous confronte aussi avec le passé, les racines ou les causes de ces comportements « inhumains ». Comportements qui, pourtant, dans cette pièce, semblent déjà d'une banalité effrayante.
Est-ce à dire que ces personnages et leurs actes, lorsque nous tentons de les relier à notre histoire récente, ne seraient pensables que dans les pays de langue allemande ? Que les mutations et mutilations profondes que le nazisme a infligées à la psyché des populations germanophones auraient entraîné une anesthésie, voire une nécrose des sentiments, telle que les autres populations en Europe ne peuvent que renoncer, incrédules, à comprendre cette glaciation des êtres ? Alors que pour les personnages de la pièce, le salut, la rédemption peut-être, ne saurait venir que «du dehors», d'hypothétiques extra-terrestres qui les regardent se débattre comme des bêtes féroces dans une cage en verre – ici un espace délimité par des barres de lumière...
Interrogation fondamentale pour le traducteur que de savoir ce qui peut « passer » ou non d'une langue à une autre – d'autant plus que ce n'est pas ici affaire de langue, comme ça l'est davantage, par exemple, chez Elfriede Jelinek, Gert Jonke ou encore Werner Schwab, auteurs autrichiens d'aujourd'hui qui laissent souvent le public étranger perplexe face à des œuvres débarquées comme d'une planète inconnue - et pourtant si proche, si présente toujours ! Faut-il donc « adapter », transposer ? Ou bien garder à l'œuvre son caractère propre tout en évitant de la dénaturer en une sorte d'étude sociologique, en une curiosité à laquelle on resterait extérieur ?
Il y a dans cette pièce des moments où je ressens de très fortes émotions, rejet violent, bouleversement, compassion alternent. Et le danger d'adopter l'attitude quelque peu blasée de celui qui observe, objectivement, « scientifiquemen », ces « drôles de bébêtes », comme aimait à dire Odön von Horváth (et qui le faisaient bien rire). A mon sens, c'est par la langue parlée, à peine soutenue par endroits, que l'on peut créer le pont (affectif) entre l'original et sa réception dans d'autres pays. Si l'auteur a beaucoup travaillé à partir de sa langue familière, le tyrolien, il s'agit ici d'une projection dans un univers fictionnel porté par une langue plus « neutre », universelle et presque commune, qu'il n'est pas trop difficile de recréer dans la langue cible. A condition toutefois de respecter aussi la construction particulièrement raffinée d'un réseau d'expressions, de manières de dire, de couleurs spécifiques pour chaque personnage, qui pourtant se trouvent redistribuées de façon inattendue et troublante, mais non moins significative, sur les sept pièces. Ainsi, un énorme puzzle se recompose sous nos yeux, avec en note fondamentale, des références tirées d'un conte de fée, de la Bible, d'une chanson populaire ancienne, du cinéma de sciences-fiction et de la télévision. Le jeu de pistes sémantique et linguistique aboutit à une lecture fascinante dé chaque élément constitutif de cette œuvre complexe et mystérieuse.
J'ai eu le privilège de pouvoir travailler, ma traduction propre « achevée », avec le groupe créé en 1998 à la Scène nationale d'Orléans par Jacques Le Ny dans le cadre des ateliers de la traduction. Entre octobre 1999 et février 2001, nous avons élaboré collectivement la traduction de deux des sept pièces. La personnalité de chacun, la compétence et le talent de tous ont permis d'éclairer et d'approfondir des aspects parfois insoupçonnés de l'œuvre. Ce travail rejaillit donc sur le texte présenté ici, et je tiens à remercier l'atelier tout entier pour cette passionnante collaboration. Ce fut une très belle aventure !

Henri Christophe, mars 2001

Péchés mortels
De Felix Mitterer
Mise en scène Jean-Claude Fall

Scénographie  Gérard Didier
Lumières  Martine André, Jean Claude Fall
Costumes  Marie Delphin, Gérard Didier
Musique  Serge Monségu, Luc Sabot
Assistanat à la mise en scène  Thibault Trabassac et Fanny Rudelle
Traduction Henri Christophe, Agone Edition

Avec

Comédiens de la troupe du Théâtre des Treize Vents : Roxane Borgna, Jean-Claude Fall, Isabelle Fürst, Christel Touret

Création

Production Théâtre des Treize Vents / Centre Dramatique National de Montpellier Languedoc-Roussillon

Coproduction Théâtre des Quartiers d’Ivry

Création 2003