Présentation

Depuis mes premières rencontres avec l’œuvre de Paul Claudel, j’ai ce rêve de travailler sur un Tête d’or africain.
La langue de Claudel est une langue concrète, terrienne, presque « archaïque » qui semble être plus proche de pays francophones africains ou même par certains aspects de la langue française parlée au Québec que de la langue aujourd’hui parlée en France.
Les valeurs morales, les codes d’organisation sociétale à l’œuvre semblent aussi plus proches de l’Afrique ou des Pays de l’Est de l’Europe. La nature des rapports hommes-femmes, la place de la guerre, de la maladie, de la mort, de la famille semblent se rapporter à des sociétés où le fonctionnement est resté avant tout monarchique, despotique, voire même tribal.

Par ailleurs, l’aventure de Tête d’or rappelle fort un livre d’aventure, un des chefs d’œuvre de Rudyard Kipling, L’homme qui voulut être roi (et le film éponyme de John Huston). Cela se passe également quelque part au fin fond du monde en Asie ou en Afrique.

Tête d’or, c’est l’histoire éternelle de ces figures d’aventuriers et conquérants, d’Alexandre le Grand à Cortez en passant par Jules César ou Pizarro.

 

Tête d’or a tout perdu, femme, parents, maison, attaches.
Il est celui qui n’a plus rien à perdre et qui cherche la confrontation avec la mort.
Il se croit investi d’un destin hors normes. D’un destin fixé par les dieux.
C’est un desperado qui arrive dans un pays perdu au bout du monde d’où tous les habitants ont fui devant l’arrivée imminente d’ennemis puissants.
Il prend la tête de l’ultime résistance et renverse le cours de l’histoire en faisant fuir les ennemis, leur présentant le visage de ceux qui sont prêts à mourir.
De retour au palais il demande sa récompense, c’est à dire « tout ».
Il revendique le pouvoir absolu, tue l’ancien roi, met au défi les opposants de se mettre sur son chemin. Faisant la critique de l’abandon des « vraies valeurs » par les « pseudos démocrates », aux jeux politiques cyniques et mensongers (« vraies valeurs » auxquelles lui se rattache : le courage, la volonté, la fierté, la discipline, la solidarité, l’ordre), il devient à la fois le sauveur et le nouveau despote de ce pays et part à la conquête du monde (toute ressemblance avec des situations et des personnages contemporains n’est pas que fortuite).
Comme toujours, au bout de sa route, abandonné de tous, il rencontrera sa compagne, celle qu’il a toujours recherchée, la mort.

Cette histoire éternelle peut aujourd’hui rappeler certaines figures de la vie politique africaine (de Idi Amin Dada au capitaine Sanogo en passant par les « révolutionnaires » somaliens, les fous de dieu, etc.).
La figure de « Tête d’or » est paradoxale : séduisante et repoussante, belle et hideuse.
Le despote entraînera tout son monde vers la destruction et la mort.

 

J’ai proposé cette lecture de la pièce de Claudel à la compagnie BlonBa installée à Bamako et le projet a rencontré leur adhésion enthousiaste.
[…]
Au cours des répétitions, l’intérêt et la justesse du projet nous a tous sauté aux yeux, son audace aussi.
Comment apprivoiser et s’approprier cette écriture, comment humainement s’apprivoiser mutuellement, aller à la rencontre les uns des autres et tous ensemble à la rencontre d’une langue hors du commun, d’un théâtre hors du commun.
Le défi est beau.

Jean-Claude Fall