Présentation

« Ou comment ce système en crise, ce système de la crise, ce système qui jouit de la crise, vit en chacun de nous dans tous les instants de nos existences »

 

De crise en crise le capitalisme financier et spéculatif renait de ses cendres encore renforcé. Cela se passe un peu comme dans la « logique » de la vente d’armes libre aux Etats Unis. Remise en question à chaque drame absurde et meurtrier, elle ressort chaque fois renforcée dans sa « logique » jusqu’auboutiste (« si la vente d’armes était plus libre encore ces drames ne pourraient pas avoir lieu »). La « logique » ultralibérale, faisant fi de toute réalité,  nous dicte une loi inepte : un marché vraiment exonéré de toute réglementation et de toute contrainte serait le plus sûr moyen de permettre un juste partage des richesses et d’éviter les crises. Et chaque crise est le plus sûr moyen de renforcer ce discours. Nous vivons dans un monde devenu fou où cette fiction et son métalangage nous régissent, nous entravent, nous ligotent, nous font disparaître, nous, êtres humains. Nous sommes maintenus dans un état d’étourdissement, d’éblouissement, d’aveuglement par nos capacités nouvelles à manifester notre « personnalité » à travers ces réseaux de communications égocentrés, égotiques qui au lieu de nous relier, nous enferment dans une solitude toujours plus grande. La vie réelle disparait au profit du spectacle de la vie. La collectivité humaine disparaît et devient une juxtaposition d’individus solitaires et malades de solitude.
Et pendant ce temps une partie infime (1% ?) de la population détient la quasi totalité des richesses de ce monde.

 

Ivresse(s) est un montage réalisé à partir de trois textes de Falk Richter.
Ecrit en 2012, Ivresse est la colonne vertébrale de ce travail. Nous y avons intégré quelques extraits de Protect me et Play loud. Ces textes déclinent à l’infini un des thèmes les plus récurrents de l’œuvre de Falk Richter :
Comment ce système en crise, ce système de la crise, ce système qui jouit de la crise vit en chacun de nous dans tous les instants de nos existences, un peu comme un alien que nous porterions en nous et qui nous dévorerait de l’intérieur.
Comment ce système en crise produit la crise dont il tire profit.
Comment il produit l’écriture de l’auteur de théâtre.
Comment il produit nos relations amoureuses.
Nos relations sociales.
Amicales.
Professionnelles.
Nos relations au public.
Nos relations à la production même.
Comment il les guide, les induit, les empêche, les détruit, les démolit, les pourrit de l’intérieur.
Comment il bouffe notre spiritualité, nos corps, nos désirs mêmes.
Comment il récupère instantanément toutes nos tentatives de nous rebeller, comment nos tentatives de rébellion sont inscrites dans le programme de crise.
Comment chacune de nos révoltes est toujours et déjà digérée et utilisée contre nous par ce système totalitaire.
Désespérant ?
Non pas.
Drôle, caustique, cruel, rempli d’autodérision, de colère, de rage aussi.
Mais dans Ivresse(s) Richter lance un message « positif » :
Dans les interstices, dans les moments fugaces de liberté sans but, dans les moments dangereux de détresse intime, dans les moments d’errance ou d’effroi, se trouvent peut-être les vrais moyens de résistance, d’ébranlement du système.
Peut-être même que la fin de la pièce, dans un campement improbable de protestataires naïfs, un peu bêtas, sans aucun discours politique, sans idéologie précuite, sans expérience de la révolution, sans objectifs, sans activité autre qu’être là et s’arrêter un instant, peut-être que là se trouve notre vraie capacité à opposer un non timide, incertain, mais porteur d’espérance vraie.
Changer le monde (qui en a bien besoin comme dit Brecht) se fera peut-être sans plan précis. Cela se fera peut-être parce que nous ne pourrons pas faire autrement sous peine de mort. Parce que nous n’en pourrons tout simplement plus.
Une sorte d’épuisement salvateur, de « ne pas faire » entêté et muet, de transfiguration silencieuse et paisible.

 

Sincèrement j’attends avec impatience le jour où tout ça va s’effondrer, et où quelque chose de nouveau apparaîtra et on regardera le passé sans comprendre comment on pouvait vivre ainsi, ça, cette vie-là, d’aujourd’hui, ça n’aura plus de sens pour nous tous, on regardera le passé en pensant : comment on pouvait vivre comme ça, ça n’a pas de sens, pourquoi on agissait ainsi, aucun homme normal n’agirait ainsi. Et on dira tout simplement : ben oui, c’était comme ça à l’époque. Ils faisaient tous ça et … c’était comme ça à l’époque, c’est tout.

Falk Richter, Ivresse